IRYNA VENEDIKTOVA RASSEMBLE DES PREUVES POUR FAIRE PAYER POUTINE

Face au jusqu’au-boutisme de Vladimir Poutine qui veut une victoire de l’armée russe en Ukraine pour le 9 mai – un jour célébré en Russie et dans la plupart des pays de l’ancienne Union soviétique pour commémorer la signature à Berlin de l’acte de capitulation de l’Allemagne nazie face aux troupes alliées – et à la ferme détermination de Volodymyr Zelensky, président ukrainien d’en découdre quoi qu’il en coute sur le plan humain et matériel pour chasser l’envahisseur, beaucoup de questions concernant les innocentes victimes de cette guerre viennent à l’esprit.

L’ambassade de France a beau avoir réintégré vendredi après-midi ses bureaux à Kiev après avoir été transférée à Lviv, ville située à 60 km de la frontière polonaise où un missile russe a tué sept personnes et fait 11 blessés lundi, en brisant les vitres d’un hôtel abritant des Ukrainiens évacués d’autres régions du pays, la sinistre démonstration d’une guerre sans limites saute aux yeux.

Étienne de Poncins nommé ambassadeur de France à Kiev en 2019 qui assure que toutes les conditions de sécurité sont réunies dans la capitale ukrainienne pour que le drapeau français et européen flottent à nouveau, sait devoir composer avec cette tragédie diplomatique et humaine.

A l’heure où cette chronique est mise en ligne, personne ne peut dire si les scènes d’horreur et de désastre dont les civils (femmes, enfants, personnes âgées) se trouvent être victimes à Mariupol, mais aussi dans les régions de Kharkiv, Zaporizhzhia, Donetsk et Dnipropetrovsk ou encore dans le port de Mykolayiv, au sud et à l’est du pays, avec des missiles lancés par voie aériennes, prendront fin.

C’est la raison pour laquelle d’une femme ukrainienne exceptionnelle, Women eLife a choisi de vous parler.

Les journalistes de l’Associated Press (AP) qui ont passé une journée avec la première femme à occuper le poste de procureur général de l’Ukraine, nous montrent une Iryna Venediktova qui parle avec une détermination sans faille des conditions dans lesquelles elle est conduite à mener son difficile travail, ses pénibles enquêtes.

Ancienne professeure de droit de 43 ans, son objectif est de faire payer Vladimir Poutine et ses forces armées pour ce qu’ils ont fait et continuent de faire.
Pour accomplir sa mission, elle se déplace tous les jours sur les lieux de crimes de guerre pour recueillir toutes les preuves.

Elle troque les vestes et robes de son ancienne vie contre des treillis militaires et un gilet pare-balles. Elle prend ses repas à la hâte et ne s’arrête jamais.

En dehors des sanctions appliquées contre la Russie et alors que les tribunaux du monde entier s’efforcent d’obliger la Russie à rendre des comptes, le gros des enquêtes – et le plus grand nombre de poursuites – devra vraisemblablement être effectué par l’Ukraine.

Pour mener à bien sa mission, Venediktova a posté des procureurs dans les centres de réfugiés à travers le pays et aux postes frontières, afin de recueillir les témoignages de souffrances de millions d’Ukrainiens et de les transformer en faits et en preuves avant qu’ils ne disparaissent.

Chaque jour, les procureurs sillonnent la file des réfugiés au centre de Lviv, à la recherche de témoins et de victimes prêts à faire une déposition. Certaines histoires ne sont ou ne peuvent pas être racontées. Les gens viennent de trop loin. Ils sont trop exténués et toujours effrayés par ce qu’ils ont eu à connaître : la terreur en sous-sol.
Les enfants dont bon nombre ont perdu leurs parents et proches, s’agitent dans l’attente qu’un refuge soit proposé.

Le bureau d’Iryna Venediktova a déjà ouvert plus de 8 000 enquêtes criminelles liées à la guerre et identifié plus de 500 suspects, dont des ministres, des commandants militaires et des propagandistes russes, alors même qu’une série d’enquêtes internationales sur les crimes de guerre s’accélèrent.

Les horreurs que Venediktova et ses réseaux d’alliés documentent – fosses communes, assassinats apparents de civils, bombardements aveugles, attaques répétées d’hôpitaux, disparitions forcées, torture, violences sexuelles, villes assiégées, privées de nourriture, d’eau et d’aide humanitaire – ne sont pas nouvelles.

Force est de constater que l’armée de Poutine et ses mandataires ont utilisé des tactiques similaires en Tchétchénie, en Géorgie, en Syrie, en Crimée et dans la région de Donbas, dans l’est de l’Ukraine. Mais en dépit des années de documentation abondante, les puissances occidentales n’ont jamais vraiment réagi et condamné ce qu’il faut qualifier de crimes de guerre.

De retour de la frontière, Venediktova poursuit sa campagne de soutien, lors de Zoom calls avec Amal Clooney ( Women eLife du 11 novembre 2021) et un groupe de donateurs internationaux.

Son équipe rend compte des progrès accomplis dans leur recherche permanente des avoirs à l’étranger des personnes soupçonnées de crimes de guerre. L’une de ses priorités est de saisir l’argent des criminels de guerre et de le remettre aux victimes. Elle aura besoin de la coopération des pays du monde entier où les suspects russes ont caché leurs richesses.

L’Ukraine participe également à cette chasse au trésor mondiale, avec un portail en anglais, en russe et en ukrainien, où chacun peut télécharger des informations sur les avoirs.

Il y a aussi ces centaines de milliards de dollars d’avoirs russes gelés par les États-Unis, l’Union européenne, le Royaume-Uni, la Suisse et d’autres pays, qui pourront peut-être eux aussi être utilisés pour financer la reconstruction et les réparations en Ukraine.

Iryna Venediktova encourage également les citoyens ordinaires à apporter leur aide en recueillant des informations à l’aide de leurs smartphones et en les soumettant en ligne sur warcrimes.gov.ua. Cinq semaines après le début de la guerre, plus de 6 000 témoignages ont déjà ainsi été récueillis.

Artem Donets, un avocat pénaliste qui a rejoint les forces de défense territoriale à Kharkiv, dit qu’il fait partie d’un groupe Telegram de 78 avocats qui participent tous à la collecte de preuves, en relevant les incidents que les procureurs et la police n’ont pas toujours le temps de voir.

« Nous sommes un bataillon de droit », dit-il.

Peu avant 21 heures, Venediktova apparaît à la télévision nationale ukrainienne, comme elle le fait la plupart des soirs. Elle rassure son peuple en déclarant : « La culpabilité sera punie et les souffrances compensées. »

Difficile d’en dire plus à l’heure où la guerre dans le Dombass s’annonce déterminante.

L’engagement et le courage de cette femme procureure général de l’Ukraine qui s’attache à réunir les preuves pour que la vérité éclate au grand jour concernant les monstrueuses conditions dans lesquelles cette guerre détruit son pays et son peuple, se doivent d’être salués.

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