UNTIL THE END

Ces quelques mots empruntés à une déclaration faite hier par le président Volodymyr Zelenskyy, sur fond de guerre menée par la Russie en Ukraine, trouvent dans cette chronique un tout autre sens.

Il s’agit en effet d’une réaction à un article paru dernièrement dans le Figaro madame.

Titré : « «Il est primordial pour soi, pour son couple, de ne pas se transformer en soignant»: jusqu’où soutenir un partenaire qui va mal? », ce dernier fait référence aux théories défendues par deux femmes qui n’ont pas manqué de choquer, comme en témoignent les commentaires des lectrices et lecteurs.

Les réponses qu’apportent à cette question Camille Rochet, psychologue et auteure de Être un couple épanoui: (Re)construire et entretenir sa vie à 2, fondatrice du site anoustous.com, et Julie Arcoulin, spécialiste en développement personnel et relationnel, en sont la cause.

Pour avoir été confronté au problème et avoir accompagné jusqu’au dernier instant ma compagne pour le meilleur et pour le pire, ce qui suit témoigne de l’importance et de la valeur du soutien, mais aussi des limites du sacrifice.

Pour peu que vous ayez la patience de lire.

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TÉMOIGNAGE

Atteinte d’un cancer généralisé qualifié dans le langage médical de lymphome hodgkinien, peu de temps après notre départ pour une vie commune, alors que ma compagne n’avait que 30 ans et notre fils 3 ans, son décès en juin 2011 m’a permis de comprendre plusieurs choses qui éclairent le débat.

Suivie à l’hôpital Foch, la première épreuve a duré quasiment une année à raison de traitements intensifs ( chimiothérapie, radiothérapie ) . Bien que considérée à l’époque comme perdue, les traitements ont permis une rémission qui a entrainé un temps long de récupération. Le soutien psychologique apporté durant cette période par ses proches en raison des effets récurrents des traitements ( fatigue, stress, perte des cheveux…) a été salvateur.

Durant les années qui ont suivi et ont laissé poindre une guérison, cette superbe jeune femme a toujours manifesté ses craintes de rechute, tout en se montrant désireuse de profiter au mieux de la vie.
Et c’est là que la présence à ses côtés de celui qui en était le proche, puis un retour à des activités professionnelles, ont redonné espoir et envie de relever tous les défis.
Ma compagne avait retrouvé allant et détermination en s’intéressant à de multiples sujets.
Si jamais le doute d’un risque de rechute ne l’a quitté, elle s’est battue pour vaincre.
C’est donc avec pragmatisme qu’elle s’est par la suite livrée aux réguliers contrôles.

Ce qui l’angoissait, personne ne pouvait se douter, car rien ne transparaissait.
Pendant 30 années, une vie normale a repris son cours, comme si tout cela n’avait été qu’une très difficile épreuve appelant à regarder l’avenir avec confiance.

Interpellée par les ouvrages de spécialistes de l’autisme et la promotion de méthodes type Teacch, ma compagne qui avait exercé dans l’univers de la publicité et de l’information à mes côtés notamment, pris, au début des années 90, la décision de suivre une formation pour entrer dans un centre spécialisé dans l’hébergement et l’encadrement d’adultes autistes.

La découverte de ce nouvel univers lui a donné une nouvelle raison de s’engager professionnellement dans un domaine trop peu connu.
Le fait de s’occuper de ce public l’a rendu chaque jour plus forte, entreprenante et heureuse, sans que jamais elle ne ménage ses efforts et ne manque de partager ses joies de réussites au contact de ces hommes et femmes aux comportements souvent imprévisibles.

Malheureusement, en 2009, sans qu’elle n’en ait dit mot au départ, de brutales douleurs allaient révéler chez elle un cancer du sein à un stade avancé.

Courageuse, sachant masquer le mal qui la faisait souffrir, elle dut un jour m’informer avoir refusé de suivre tout nouveau traitement.
Accablé d’apprendre cette nouvelle, j’ai cru pouvoir l’en dissuader, mais aussi au grand pouvoir de la médecine, en raison des notables progrès accomplis dans le traitement de ces cancers qui touchent de nombreuses femmes et donnent à l’opération Octobre Rose ( 1er -31 octobre 2022), toutes raisons d’inciter les femmes au dépistage précoce.

Alors que nous parvenions à mener une vie rythmée par ses joies et ses peines, je restais persuadé que nous allions ou plutôt qu’elle allait s’en sortir.
Depuis que j’avais rencontré ma compagne dans une entreprise où nous travaillons tous deux, je n’ai jamais cessé mes activités professionnelles particulièrement prenantes.

Mais en 2010, son état de santé s’est très vite dégradé.
Son cancer du sein s’est rapidement métastasé jusqu’à s’étendre à d’autres organes et plus particulièrement au cerveau.
Une situation qui s’est traduite dans un premier temps par des difficultés à se concentrer, ce qui l’a conduit à mettre fin à son métier d’assistante médicale dans le centre pour autiste dans lequel elle était très appréciée pour ses compétences et son dévouement sans faille.

Constatant au fur et à mesure que sa mobilité finissait également par être atteinte et qu’elle commençait à rencontrer de sérieuses difficultés à parler, j’ai alors un jour pris une décision radicale, constatant que je n’étais plus en mesure d’apporter chaque jour les soins indispensables, d’aider pour la toilette, de prodiguer les soins, etc.

Conscient que le cadre de vie devenait incompatible, j’ai brutalement pris en 2011 la décision de quitter l’appartement en étage que nous occupions dans une grande ville de la région parisienne afin que nous nous installions en rez-de-chaussée, dans le logement situé dans une petite cité maritime en Normandie.

Sans me faire beaucoup d’illusions, je pensais néanmoins que ma compagne se retrouvant dans un autre décor plus lumineux, proche de la mer, parvienne à lui rendre tout ce qu’elle avait perdue et sa vie moins pénible.

De mon côté, je savais pouvoir maintenir mes activités professionnelles pour avoir été rompu dés le début des années 2000 au télétravail.
Les clients de mon entreprise de presse que j’avais informés de ma décision, ont alors fait preuve de compréhension et continué à faire appel à mes services, malgré mon éloignement géographique.

Mais en dépit du semblant d’aide apportée de jour par une personne que j’avais chargée de suivre ma compagne en mon absence, il me fallut constater le caractère ravageur du cancer au cerveau qui l’avait rendue incapable de s’exprimer, d’échanger, de manger seule, les déplacements ne pouvant plus se faire qu’en fauteuil roulant.
Seuls ses yeux me regardaient comme apitoyés d’avoir à éprouver et faire partager autant de souffrances, silences et désespoirs.

En marge des appels aux services d’urgence la nuit en raison de malaises impressionnants, la fin fût tragique.

Ma compagne due finalement être placée dans un centre de fin de vie où elle ne survécut qu’un petit mois, la présence à ses côtés n’étant en dépit de sa régularité d’aucun secours.

Que faut-il retenir de cette histoire vraie ?
Tout d’abord, que c’est un devoir lorsqu’on aime d’en apporter la démonstration concrètement.
Qu’il faut savoir rester impliqué tout en se préparant mentalement au pire.
Qu’il est également indispensable de comprendre qu’il arrive un stade où la présence qu’on juge précieuse auprès d’un proche devient encombrante, désagréable, pour l’être qui se sait condamné à mort.
Que s’investir corps et âmes pour accompagner un proche à des limites qu’il importe en tant que proche d’accepter.
Surtout retenir que face à l’extrême souffrance et en l’absence totale de solutions pour sauver pour l’être aimé, c’est à celles ou ceux qui endossent la pénible mission et responsabilité d’agir comme il se doit.

En deux mots : que le « Until the end » n’a en réalité de sens que pour ceux qui restent et doivent faire preuve de résilience pour surmonter la plus terrible épreuve : continuer à vivre après.

Il y a donc une étape qu’on ne doit jamais franchir lorsque la question ne se pose plus réellement de savoir : jusqu’où soutenir un ou une partenaire dont l’état de santé a atteint les limites du possible ?

PG

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