AFGHANISTAN : LES FEMMES RESTENT LES PREMIÈRES VICTIMES DE L’ABSURDITÉ

Anisa Shaheed, journaliste de la chaîne afghane Tolonews, régulièrement menacée de mort, serait la plus à même pour dénoncer aujourd’hui sur Women e Life le caractère innommable des risques qu’encourent les filles et femmes dans ce pays. Surtout lorsqu’on sait que plusieurs femmes journalistes ont été tuées depuis le début de l’année.

Le récent attentat à l’entrée d’une école pour filles à Kaboul qui a fait plus de 90 morts et 150 blessés, démontre l’extrême violence qui règne dans ce pays de 36 643 815 habitants.

Perpétrés par les talibans et des membres de l’organisation EI qui contrôlent toujours environ 40% du territoire afghan, les attentats  visent principalement des femmes afghanes actives.

Aussi l’annonce par le président américain Joe Biden que les États-Unis retireront toutes leurs forces d’Afghanistan d’ici le 11 septembre 2021, et celles faites par d’autres États membres de l’OTAN qui prévoient de retirer leurs troupes, ont-elles  de quoi justifier l’inquiétude et susciter l’incompréhension.

Le désengagement international concernant les aides apportées à la population afghane souligné notamment dans un rapport de l’ONG Human Rights Watch intitulé « ‘‘I Would Like Four Kids – If We Stay Alive’’ : Women’s Access to Health Care in Afghanistan” » souligne clairement les obstacles qui empêchent femmes et filles afghanes d’obtenir des soins de santé et la détérioration du système de santé.

Après avoir contribué à hauteur de 141 millions de dollars US à l’aide à la santé et à la population en Afghanistan en 2013, le montant versé par les États membres du Comité d’aide au développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), n’était plus que de 105 millions de dollars US, en 2019.
Depuis longtemps déjà, le gouvernement afghan n’a guère les capacités d’assurer sa propre autonomie.
D’autant qu’en 2020, la pandémie de Covid-19 a provoqué un ralentissement économique aux conséquences délétères sur les revenus.

La baisse du financement des donateurs internationaux a déjà eu un impact néfaste – et potentiellement létal – sur la vie de nombreuses femmes et filles, en réduisant leur accès aux soins de santé ainsi que la qualité des prestations de santé.

Au-delà des problèmes sécuritaires persistants qui compliquent l’accès des Afghanes aux soins, force est de constater que la déliquescence des structures hospitalières comme le manque de professionnels de santé et de moyens modernes, expliquent les incommensurables difficultés de prises en charge de ces dernières, le plus souvent éloignées des villes.

Terrifiante et révoltante fût l’information révélée le 12 mai 2020, lorsque des hommes armés non identifiés ont attaqué la maternité de l’hôpital Dasht-e-Barchi de Kaboul, tuant 24 personnes, dont 16 mères, deux enfants et une sage-femme. Trois jeunes femmes qui venaient de donner naissance ont été tuées dans la salle d’accouchement. Vingt autres personnes, dont des bébés, ont été blessées lors de l’attaque qui a duré quatre heures.

Pour répondre aux besoins urgents des Afghanes, les demandes formulées par « Human Rights Watch » ne devraient pas rester lettre morte; du moins à en croire les réactions des États-Unis et d’ autres pays militairement présents en Afghanistan.
Ces derniers doivent en effet évaluer l’aide qu’il est urgent d’apporter à la population, et préciser leurs engagements indépendamment de la décision de retirer leurs forces armées.

Compte tenu de la situation à laquelle doivent faire face les Afghanes, il est assez incroyable de devoir rappeler qu’au cours des années 1960, ces dernières jouissaient d’une liberté certaine après avoir obtenu en 1919 le droit de vote, soit 25 ans avant la France.

Il aura fallu qu’une guerre entre les Soviétiques et les partisans afghans donne lieu à dix ans de conflit qui se solderont par le retrait des troupes russes et le début d’une guerre civile.

En 1996, lorsque  les Talibans, fondamentalistes islamistes, ont pris le pouvoir, le pire s’est annoncé pour les femmes. Comme si d’un seul coup, elles n’avaient plus le droit d’exister. Interdites d’école après neuf ans, privées de travail, elles  n’auront plus accès aux mêmes  hôpitaux  que les hommes. Contraintes de rester à la maison sous peine d’être rouées de coups, voire lapidées, c’est seulement dans les camps de réfugiés au Pakistan qu’il leur est possible de témoigner.

Nommée vice-ministre de l’Intérieur à l’âge de 26 ans, une première pour une femme en Afghanistan, Hosna Jalil qui a aujourd’hui 29 ans est la nouvelle ministre des Femmes en Afghanistan.
Dans Kaboul, la capitale, ville à l’épreuve des tirs de roquettes et sous la menace d’attentats devenus presque quotidiens, elle mesure les progrès accomplis. Dans les territoires, un peu plus de la moitié du pays, sous le contrôle du gouvernement, la scolarisation des filles est en nette amélioration.

Selon les chiffres d’un rapport de Human Rights Watch, le pourcentage d’adolescentes qui savent lire et écrire est aujourd’hui de 37 % contre 19 % pour les femmes adultes. Mais on est loin de la parité. Car ce taux est près du double, 66 %, pour les garçons et de 49 % pour les hommes adultes. Toutefois, Hosna Jalil  ne se fait aucune illusion tant l’écart ne cesse de se creuser entre les villes et la campagne où la loi reste celle des mollahs, les chefs religieux, et des mariages forcés.

Fort heureusement, à Kaboul, Mazar-I-Sharif, Jallabad, Hérat… Internet et l’accès aux réseaux sociaux bouleversent la relation aux clans et font souffler un vent de modernité. Mais dans les zones tenues par les talibans, la charia s’impose toujours. Les écoles restent inaccessibles pour les filles et la lapidation est pratiquée en cas d’adultère.

Plus largement, les femmes restent victimes de violences. Selon un rapport de la mission des Nations unies en Afghanistan (Manua) et du Haut-commissariat de l’Onu aux droits de l’Homme rendu public en 2020, un crime sur deux concernant des femmes ou des jeunes filles n’arrive jamais à la barre du tribunal en dépit des preuves fournies.

Hosna Jalil confirme. “ Quand des femmes victimes de violence s’enfuient, les policiers n’ont pas le droit de les arrêter. Ils le font pourtant et les font emprisonner. ”
Selon Deborah Lyons, représentante des Nations unies pour l’Afghanistan : “ C’est l’impunité qui prévaut le plus souvent. ”

“ L’Afghanistan reste le pire pays du monde où naître pour une fille »,” déclare Fazia Kofi, membre de l’équipe chargée de négocier un accord de paix avec les talibans à Doha.

Toutefois, en dépit de cette situation préoccupante, certaines Afghanes, jeunes mais pas seulement, parviennent par leur courage et détermination à entrevoir une possible sortie par le haut. Elles aspirent au savoir et font preuve d’une volonté sans faille pour parvenir à leurs fins sur le plan personnel et professionnel. Elles ont droit au respect et surtout à une vie décente inspirée de la formule de l’une d’elles : « Nous devons vivre nos rêves et obliger les autres à nous laisser rêver. »

Laisser un commentaire